Après Machiavel, Hobbes, Locke, Rousseau ou Tocqueville, est-il possible de traiter de façon originale le problème de l’Etat et de ses prérogatives? Anthony de Jasay, Hongrois de naissance, aujourd’hui sujet britannique et professeur d’économic à Oxford, a publié en 1985 en Angleterre une somme intitulée “l’Etat” , récemment traduite en français. La démarche est originale: en se plaçant à l’intérieur de l’Etat, c’est-à-dire en le personnalisant, l’auteur propose enfin une réflexion concréte sur cette machine a broyer tous ceux qui ne se plient pas à sa nature profonde, à savoir la contrainte; “Les citoyens n’ont d’autre ressource que de devenir des serfs à de nombreux égards” écrit en substance Jasay. Non, explique-t-il, l’Etat ne sert pas l’intérét général mais au contraire, il modéle les citoyens selon son gout. L’Etat est bien ce Léviathan, décrit par Hobbes, uniquement préoccupé de rogner les Iibertés individuelles, et ie totalitarisme n’est jamais que l’aboutissement naturel de cet Etat prédateur: “Est-on bien sur qu’en passant de Ia démocratie au despotisme, Ia Répubique de -Platon succombe a la dégénérescence? Cette “dégénérescence” ne serait-elle pas plutôt Impliquée par ses intentions premières?”
Aussi Jasay part-il en guerre contre les marchands des droits de l’homme qui, “pour faire passer la pilule”, cautionnent ce qu’il nomme “un programme redistributif toujours plus étendu”, lequel permet d’acheter l’adhésion des citoyens tout en laissant le champ libre aux groupes de pression en tout genre. Pour faire taire les citoyens velléitaires, l’Etat s’approprie la société civile – l’analyse du Magyar est sur ce point lumineuse – et abuse des “spécialistes” dénués de légitimité, mais dotés de plus en plus de compétence et qui ont le dernier mot sur tout.
Cet Etat omnipotent qui entretient maladivement les mythes de “justice sociale” ou “d’égalité”, c’est “l’Angélisme exterminateur”, décrit par A. G. Slama. Dans, une langue accessible, l’étude de Jasay – prend tous les thèmes de notre époque a rebrousse-poil et trouve le moyen de rejoindre Maurras sur l’intrinséque perversion de l’Etat démocratique…